Le premier enseignant invité au Schumacher College, en 1990, était le célèbre climatologue anglais James Lovelock, pour qui la Terre est un être vivant...
L’hypothèse Gaïa, de James Lovelock, énonce que l'ensemble du vivant de la Terre forme un superorganisme qui s’autorégule harmonieusement. Si l'on accepte cette idée, nous devons sortir d'une vision mécaniste ou chaque cause aura un effet déterminé. Il y a des effets de feedback et de boucle: une interdépendance constante, comme on s'en rend compte aujourd'hui avec le désordre climatique. Cette vision scientifique de Lovelock doit être complétée par la vision éthique d'Arne Naess, philosophe norvégien et fondateur de la deep ecology (écologie profonde), qui lui aussi est venu enseigner ici. Les plantes, les animaux, les rivières et les montagnes ont un droit intrinsèque a vivre.
Il n'y a pas un sujet "homme" et un objet "nature". Il n'y a que des sujets! Et tous dépendent les uns des autres. L'homme est a la fois l'observateur et l'observé. Avec Lovelock et Naess, nous commençons a nous approcher d'une science, que j'appelle de mes vœux, qui ne serait pas séparée de la spiritualité.
Et vous proposez a cette fin de cultiver un nouvel équilibre entre "la Terre, l’âme, la société".
J’étais en quête d'une trinité capable d'incarner notre nouvelle histoire : un paradigme neuf dont nous avons besoin pour penser les défis qui nous attendent. Car avec la Trinité chrétienne - Père, Fils et Saint -, on oublie la mère, la fille et la sainte matière. La trinité française "Liberté, Égalité, Fraternité" est magnifique, mais ne vise que l'homme et oublie la nature. Quant a la trinité new age du "Mind, Body, Spirit", elle néglige la société. D’où ma proposition : "la Terre, l’âme, la société". J'entends certains dire : "Je m'engage pour l'écologie." D'autres: "L'urgence, c'est le combat pour la justice sociale." D'autres encore : "Je médite car seul l’éveil spirituel compte." Ça ne peut pas marcher! Comme nous l'enseignons au Schumacher College, nous devons faire les trois a la fois: prendre soin de la Terre, c'est prendre soin de l’âme ; prendre soin de l’âme, c'est se donner les moyens de s'engager de manière juste en politique, et ainsi de militer en retour pour une société favorisant la vie de l’âme et la préservation de la nature. Car le changement ne viendra pas du sommet - dirigeants politiques ou multinationales -, mais de la base : d'une prise de conscience des gens ordinaires.
L’idée d'une "âme" est difficile a appréhender pour un esprit athée et moderne. Ce n'est pas un mot que nous employons volontiers. Comment la définissez-vous?
L’âme et la graine : le potentiel que chacun porte en lui. Elle est comme le gland pour le chêne. Notre intelligence, notre imagination, nos engagements sont comme les branches de l'arbre dont la graine est l’âme. Et de la même manière qu'un arbre a besoin d'un sol généreux pour s’élever, nous nous épanouissons grâce aux relations de respect, d'amour, d'entraide, que nous tissons avec les autres êtres vivants.
Et il n'y a pas de mauvaise graine?
Bien sur que non! L’idée d'un péché originel est tout simplement fausse. On ne la trouve pas, d'ailleurs, dans la parole du Christ. Elle vient plus tard, avec Augustin notamment. Mais l'univers est bienveillant : contrairement a la théologie chrétienne, qui continue d’imprégner les mœurs occidentales, je suis convaincu que nous jouissons d'une bénédiction originelle. La "révolution de l'amour", comme on disait du temps de ma jeunesse, doit commencer par un acte de paix envers soi-même.
Face a l'urgence écologique, nous n'entendons pas beaucoup de mots d'amour. Les activistes misent plutôt sur la peur...
C'est une erreur. Si vous êtes motivé par la peur, vous ne connaitrez que désillusion. J'admire Greta Thunberg, mais je l'ai mise en garde : si tu agis par peur, tu seras forcement déçue par le résultat de ton action. Cela ne se passe jamais comme on veut. Alors que si nous agissons par amour, chacune de nos actions, même la plus quotidienne, est un accomplissement, une joie, elle se suffit a elle-même. Agissons en confiance. Nous réusssissons? C'est un cadeau de l'univers! Nous ne réussissons pas? Cela valait malgré tout la peine d’être fait.
Il s'agit donc d'agir, mais sans s'attacher au résultat?
Je reste convaincu que nous pouvons aller vers une société meilleure. Mais ça ne peut pas être un objectif mesurable, planifiable, maitrisable. C'est un voyage : un pas après l'autre, une action après l'autre. Attentif a ce qui, imprévu, émerge et nous appelle.
Par Philippe Nassif pour Madame Figaro
Tuesday, March 3, 2020
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