La seule chose que j'ai vue dans ma mère, c'est l'amour. Ça faisait passer tout le reste - comme avec toutes les femmes... J'ai été formé par un regard d'amour d'une femme. J'ai donc aimé les femmes. Pas trop, parce qu'on ne peut pas les aimer assez. C'est une affaire entendue: j'ai cherché la féminité toute ma vie. Et sans ça, il n'y a pas d'homme. Si on appelle ça être marqué par une mère, moi, je veux bien - et j'en redemande. Je le recommande. Je le conseille vivement. Je ne sens même pas que je suis acquitté de ma dette. Les femmes, je n'ai pas su les aimer, je n'ai pas su donner, j’étais trop maigre à l’intérieur, mais je leur ai donné le peu qu'il restait, parce que la littérature prenait beaucoup.
J'ai été entoure de tendresse, dans mon enfance, et cela fait que j'ai besoin de féminité autour de moi, et que j'ai toujours fait mon possible pour développer cette part de féminité que tout homme possède en lui, s'il est capable d'aimer. C'est parfaitement vrai, mais j'ai comme une vague impression que les mères sont là justement pour ça, pour créer ce besoin, cette part de féminité sans laquelle il n'y aurait jamais eu de civilisation. Un homme qui n'a pas en lui une part de féminité - ne serait-ce que comme un état de manque - , d'aspiration, c'est une demi-portion. La première chose qui vient à l'esprit, lorsqu'on dit "civilisation", c'est une certaine douceur, une certaine tendresse maternelle...
Si les choix politiques sont aujourd'hui si difficiles, c'est que pour l'essentiel, toutes les forces en présence se réclament justement de la force, de la lutte, des victoires, du poing, de la masculinité en veux-tu en voilà. Jette un coup d'oeil sur les photos de l’Assemblée nationale. Rien que du mâle, la-dedans, pouah... Des belles têtes de machos sur pied. Tu prends Messmer ou Mitterand, c'est des vraies têtes romaines, du buste, du gladiateur, du pareil au même, du laurier derrière les oreilles, du millénaire... Pas une voix féminine dans le concert des voix sur l'Europe... C'est pourquoi d'ailleurs on fait une Europe du boeuf et du lard. Pas trace de maternité, dans tout ça... Tant qu'on ne verra pas à la tribune de l’Assemblée nationale une femme enceinte, chaque fois que vous parlez de la France, vous mentirez! Il y a dans le monde politique une absence effrayante de mains féminines...
Extraits de La nuit sera calme de Romain Gary
"Si vous regardez la parole du Christ, elles est essentiellement féminine. La voix du Christ
était une voix de femme, du moins au sens traditionnel que l'on donne a ce terme. Tendresse, pitié, amour, bonté, pardon. Mais ces vertus sont totalement absentes de deux mille ans de notre civilisation. En dehors de l'inégalité hommes-femmes, qui est évidente, il faut une transformation des valeurs masculines en valeurs féminines.
C'est pourquoi je ne comprends pas les mouvements féministes qui se réclament d'une sorte de masculinité, a part égale avec les hommes. Elles devraient au contraire se retrancher de plus en plus, et élaborer des valeurs féminines pour en féconder notre civilisation. Mais c'est sans doute une vue un peu trop idéaliste des choses.
Le drame des hommes et des femmes, en dehors des situations d'amour, en dehors des situation d'attachement profond, est une sort d'absence de fraternité."
Romain Gary
Extraits de Jacques Chancel, Radioscopie
Saturday, May 25, 2019
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